lettre de Gino Severini à Paul Monnier

Lettre de Gino Severini à Paul Monnier

Lettre de Gino Severini à Paul Monnier

Fribourg    21 juillet 1932
18, rue de Saint-Pierre
Bien cher ami,

J'ai été vraiment heureux de recevoir de vos nouvelles; je savais que vous étiez à Genève, et j'espérais vous voir à Bulle, à l'occasion de cette promenade de la Société de St Luc... Mais je compte bien sur votre visite ici, lorsque vous viendrez pour visiter Monseigneur; nous gardons tous le meilleur souvenir de vous et vous nous ferez un très grand plaisir en venant nous voir.

Au sujet des renseignements que vous me demandez, je regrette bien de ne pas pouvoir vous éclairer comme je le voudrais. La peinture à la cire est une des techniques perdues et jamais encore entièrement retrouvée. Il y a un traité de Montalembert, (je crois), qui est la meilleure reconstitution de cette technique, vous pourrez peut-être le trouver à la Bibliothèque; mais je crains que cela vous entraine dans des expériences nombreuses et dans des pertes de temps. L'essai qu'a fait Cingria à Finhaut, est peut-être intéressant, mais je pense que, comme bien d'autres, il est une adaptation de la vraie technique; il faudrait savoir comment cela se comportera avec le temps.

Je me suis trouvé ici, moi aussi, devant des problèmes assez complexes. Pour éviter les dégradations que l'humidité apporte toujours aux couleurs, dans les églises, je voulais peindre avec des couleurs employées sur les façades. Mais j'y ai renoncé parce que: 1° L'humidité abime n'importe quelle couleur, qu'elle soit passée même à la fresque (exemple Semsales et d'autres); 2° Les couleurs des façades n'ont pas l'éclat et le velouté des couleurs fixées avec une colle. Ainsi je passe toutes les teintes des grandes surfaces avec du blanc-fixe (qui est un sulfate de baryte fixé avec une gélatine ou une colle d'amidon). Je prépare le mur avec une couche de lait écrémé qui contient 1/6 de chaux blanche. Ensuite une couche de blanc-fixe, et ensuite une couche de la teinte voulue. Si cette teinte est claire il suffit de la mélanger au blanc-fixe pour qu'elle soit suffisament encollée; si elle est foncée il faut ajouter au blanc-fixe du lait. Les figures ou ornements je les peints à la caséïne. Mais cette colle il faut l'employer avec beaucoup de prudence.

Si vous avez besoin d'autres renseignements sur ces questions, écrivez-moi sans crainte de me déranger; je n'ai pas besoin de vous dire qu'on trouve toujours un moment pour ceux qui vous sont chers.

Nous parlerons de vive-voix de bien des choses qui nous intéressent, et, espérons-le, bientôt. Notre santé est satisfaisante en ce moment. J'ai eu de temps en temps de vos nouvelles de là-bas*; ma pensée vous suivait bien souvent....; je suis content que vous soyez revenu, et que vous ayez fixé votre direction...

Je pense que les Pères de la Valsainte vous ont bien conseillé.

Agréez, mon cher ami, les meilleurs souvenirs de nous tous (toute la famille est ici), et moi je vous embrasse avec toute mon affection.

votre    Gino Severini
 
* Allusion au séjour de Monnier aux Indes. (Note du transcripteur).
Signature de Paul Monnier