critiques

<em>Marin dans un hamac (Ménélique)</em>, 60x92 cm, huile sur toile, 1933. Collection particulière.
Le peintre Monnier est un des plus subtils et des plus intelligents qui soient ici. Son dessin est volontairement sec, avec ça et là des bizarreries ou des outrances savamment calculées, ne manque pas de décision et sa couleur est fine et agréable. Il lui arrive de se divertir aux dépens du public et de ses modèles. J'ai peine à croire, par exemple, que ce Marin dans un hamac ait été, au naturel, de cette monstrueuse laideur. Mais la déformation est amusante et l'artiste sait doser l'ironie et la poésie de manière à éviter la caricature. La poésie, ici, c'est le flot et le ciel encadrés par le hublot et qui suffisent à donner l'impression de l'immensité marine...
J'ai pris un vif plaisir à voir cette exposition et j'y ai trouvé une jeunesse, une santé, une humeur amère et gaillarde à la fois, un sens philosophique de l'existence, bien rare chez les "moins de trente ans".
W. Matthey-Chaudet, La Tribune de Genève, 29 avril 1933.
<em>Saint Charles Borromée guérissant des pestiférés (détail)</em>, décoration murale, choeur de l'église d'Avusy (Genève), 1932.
Le 9 décembre 1932, le groupe romand de la Société de Saint-Luc* se rendait en autocar à Avusy, tout au sud du canton de Genève, pour rendre hommage à leur jeune confrère, Paul Monnier, qui venait de terminer dans l'église paroissiale de ce village une décoration qui place cet artiste parmi ceux sur lesquels la Suisse pourra dorénavant compter.
Que Paul Monnier soit moderne, on ne peut le nier, on sent l'admiration pour Picasso dans son oeuvre, mais il est nourri des traditions latines de l'art catholique et s'en inspire.
Alexandre Cingria, La Patrie valaisanne, 2 février 1933.
* Parmi les membres: les peintres J.-L. Gampert, A. Cingria, G. Severini, M. Poncet, F. Bovy, l'orfèvre M. Feuillat, les architectes A. Guyonnet et F. Dumas.
<em>Le 10 août</em>, 146x114 cm, huile sur toile, 1933.
Je place Paul Monnier au premier rang, à côté de Cingria.
...Quant au grand tableau Le Dix août, c'est une évocation d'histoire et de philosophie, une confrontation de l'ordre avec la licence, qui un jour situera l'artiste à cette place de nos traditions picturales, que la mort de Gleyre et d'Hodler, pour notre deuil, laisse encore vacante.
J.-B. Bouvier, Courrier de Genève, 4 mars 1935.


Fête des vendanges, Sion 1946. Les cheveux d'Absalon de Calderon, adaptation de Maurice Zermatten, décors et costumes de Paul Monnier.

Décor pour <em>Les cheveux d'Absalon</em>, de Calderon, Sion 1946.
...Conçue comme une grande fresque, la tragédie dépendait beaucoup des décors. Ceux qu'a brossés Paul Monnier sont simplement parfaits. Plantés d'une façon fort ingénieuse, ils donnent par leurs proportions une impression de puissance imposante. Leurs accords de tons profonds jouent admirablement sous le pinceau des projecteurs. M. Monnier a pénétré avec une rare compréhension l'esprit baroque. Avec leurs indications fermement notées, leurs larges colonnes torses, leurs symboles polychromes, les décors à eux seuls créent déjà l'atmosphère.
Et lorsque devant eux, les costumes chatoyants déroulent en longs mouvements souples leur chaîne bigarrée, nous assistons à une réussite plastique qui touche à la féérie.
Georges Peillex, Tribune de Lausanne, 29 septembre 1946.
<em>Les arènes d'Aranjuez</em>, 53x81 cm, huile sur toile, 1955. Collection Dr Charles-André Monnier.
...(Dans les années 1950-1970) nous assistons à une lente, patiente et parfois douloureuse métamorphose dans laquelle les acquis de sa période de formation ne sont pas rejetés mais assumés au sein d'une identité plus cohérente. ..Nous voyons, à partir d'oeuvres telles que Les arènes d'Aranjuez (1955), que le discours naturaliste s'est tu. La vision directe estompée, laissant la place à l'inépuisable richesse de l'expérience picturale pure.
...Dans ce processus, l'agent de transition sera la couleur. La structuration formelle de l'oeuvre en lignes de force, axes, masses et leur contraste ne sera pas abandonnée mais envisagée dans une relation nouvelle où la couleur n'est plus seulement la finition, la "couverture" du thème, mais son architecture.
Bernard Zumthor, in: Paul Monnier, Editions de la Matze, Sion, 1975.
<em>Bleu lavande</em>, 61x38 cm, huile sur toile, 1973. Collection particulière.
...En 1967, toute la Majorie était remplie de l'oeuvre de Paul Monnier. C'était très impressionnant.
En cet automne 1973, c'est à Sierre, au Château de Villa qu'il revient. Avec une moisson de plusieurs années, une somptueuse moisson. La tension n'a pas baissé. La décantation n'a rien enlevé à la puissance si elle la discipline toujours davantage.
Et la couleur, mieux que jamais, triomphe. Elle n'est plus appliquée sur des formes, complément obligé d'une prise de possession du monde: elle est devenue l'essentiel. Elle irradie, elle crève l'espace, elle résonne en notes musicales d'une franchise si nette qu'elle emporte l'adhésion.
Force tranquille, sure d'elle-même, reposant sur des compositions toujours robustes, mais la composition, chez Paul Monnier, a toujours été solide. Et puis par contraste, ces noirs, ces gris, ces effacements raffinés dont les effets ont un admirable pouvoir de suggestion poétique.
Maurice Zermatten, 13 Etoiles, 24e année, No 1, janvier 1974.
<em>Le percolateur</em>, 58x53 cm, huile sur toile, 1934.
<em>La carte</em>, 61x50 cm, huile sur toile, 1972. Collection particulière.
"Ce qui distingue toute grande oeuvre d'art, c'est assurément sa cohérence interne, écrivait Jean-Pierre Richard. Entre les divers plans de l'expérience on y voit s'établir des échos, des convergences". Cohérence interne, nulle définition ne s'applique mieux au chef d'oeuvre qu'est La Carte (1972). Nous y retrouvons le thème du Percolateur de 1934, mais quel chemin a été parcouru: de la figuration réduite à ses lignes de force au support structurel concentré dans la géométrie des énergies et des tonalités! Une véritable transfusion s'est opérée et ce que la charge émotionnelle a perdu en artifice expressionniste, elle l'a gagné en densité tragique.
En ramenant la profondeur au plan, en fondant les tonalités, en clarifiant les structures – limpidité des axes, rigueur de la section d'or – en épluchant littéralement la matière sur les plages de couleur jusqu'à en dégager l'amande lumineuse, Paul Monnier atteint l'harmonie fragile - fragile parce qu'elle se veut absolue – dans laquelle s'inscrit la finalité de tout art.
Bernard Zumthor, in: Paul Monnier, Editions de la Matze, Sion, 1975.
Signature de Paul Monnier